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«Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence... La cause de la vérité devrait être la cause commune.» Montaigne
Christophe Carraud • Pierre Chappuis
« Conférence »
«Le plus fructueux et naturel exercice de notre esprit, c’est à mon gré la conférence... La cause de la vérité devrait être la cause commune.» Montaigne
Christophe Carraud • Pierre Chappuis
Présentaté par l’écrivain Pierre Chappuis, Christophe Carraud mène une vaste réflexion autour du mot «conférence» et de l’évolution de son sens, des résonances de ce terme dans le développement politique en particulier de notre civilisation moderne ; et ce faisant, il nous pousse à redécouvrir l’art de la conversation. Profitant de son statut de directeur de la revue «Conférence", il pose trois questions qui sous-tendent tout son propos : 1.Pourquoi fonder une telle revue? 2. Quel est le lien entre une revue de ce type et une conférence? 3. Comment exercer la parole dans une démocratie aujourd’hui? Pour répondre à une exigence de débat d’idées et de diversité, toute revue se doit d’être publique, inscrite dans le présent et polyphonique, en faisant appel à différents auteurs; c’est sur cette même base que devrait être construite toute conférence. Pour appuyer son analyse, Carraud convoque Montaigne (cf. chapitre sur l’"Art de conférer» dans ses «Essais"III.8) qui traverse d’ailleurs tout son exposé en filigrane. Mais il montre par ailleurs que Montaigne emprunte sa vision humaniste de la «méthode conférence", basée sur la comparaison (la collation), à un auteur contemporain, Loys Le Roy, traducteur de «La politique» d’Aristote vers 1570. On découvre grâce à ces deux écrivains que la conférence n’est initialement pas forcément un discours construit sur des bases rationnelles implacables, mais qu’elle est avant tout une «conversation", un échange intellectuel réalisé dans un état d’esprit de «convivence", une confrontation fructueuse dont le but premier est «d’apporter quelque chose ensemble» (du latin «conferre") pour atteindre le but suprême, à savoir la «cause commune» selon Montaigne, soit la vérité, qui n’a pas caractère d’absolu, mais se construit au fur et à mesure des échanges. La conférence est donc un devoir de citoyen, un art de vivre dans une société civilisée. Malheureusement, au 16e s. comme aujourd’hui, la politique a été délaissée par les gens de lettres. La parole est dotée d’une vocation idéologique, politique indéniable. Afin que cette parole demeure fertile, il importe qu’elle soit entendue par le plus grand nombre possible de personnes: le dialogue doit donc impérativement être ouvert à un tiers (qu’il s’agisse d’une personne ou d’un espace politique), et la parole ne doit pas se replier sur elle-même pour ne pas sombrer dans le «narcissisme» ni le «consensus mou". Mieux que quoi que ce soit d’autre, la conférence offre cet espace de partage, de «déploiement» des sens. Dans un deuxième temps plus polémique et en se référant au texte «L’homme sans monde» de Günther Anders (philosophe du XXe s.), Carraud s’élève avec vigueur contre le «pluralisme» (de sens, de significations, de contenus, de vérités, etc.) à la mode et la «tolérance", qui ne sont que le signe de l’indifférence, de la perte de valeurs du temps et finalement de «l’uniformité violente» qui nous enserre. Seule une «parole libre» et «consciente» dans le cadre d’une conférence qui ne soit pas un consensus (où «consentir» revient à dire «ne plus réfléchir") est en mesure de remédier à l’indifférence générale qui pèse sur notre monde actuel. Et de conclure par ces mots: «Je n’ose pas dire Amen, mais c’est tout comme!". La conférence est suivie d’un débat.
Directeur de la revue semestrielle « Conférence » (dès 1995); traducteur de Pétrarque: « La vie solitaire » (1999); « Le repos religieux » (2000) et « Mon ignorance et celle de tant d’autres » (2000).