Rebecca Saunders se distingue des musiciennes émergeant dans la dernière décennie du XXe siècle par la subtilité et l’évidence organique, quasi palpable, de ses créations qui témoignent d’une sensibilité extraordinairement déliée, couplée à une faculté de concentration analytique et à une maîtrise artistique sans faille. L’art ainsi acquis, elle l’infléchit dans des œuvres infiniment nuancées, en liaison avec l’espace visuel et l’expression littéraire ou théâtrale (Joyce, Beckett...), ce qu’on pourrait appeler les dehors de la musique. Ces derniers sont des éléments qu’elle a longtemps repoussés comme accidentels, extérieurs, indifférents : tout d’abord, les corps qui jouent, dont l’énergie déployée à produire les sons dut demeurer cachée, silencieuse ; ensuite l’espace - où la musique résonne - qu’on a rendu standard afin qu’il ne vienne pas perturber (déformer) l’écoute; enfin les affects, que les formes classiques ont tenté de mettre à distance. Ces dehors habitent la musique de Rebecca Saunders au sens où ils sont par elle composés comme les autres composent les sons. On entend les corps bouger et respirer, les espaces résonner, les affects se retourner compulsivement sur eux-mêmes. Ces dehors seront pistés, de Chroma à Crimson, de Cinnabar à Choler, quatre œuvres emblématiques de ces nouveaux rapports et enfin Stirrings Still, œuvre en prose de Samuel Beckett très réflexive et rédigée à la fin de sa vie.
Né à Paris en 1971, Bastien Gallet enseigne la philosophie à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Il dirige les éditions Musica Falsa (MF). Il a été de 1999 à 2004 producteur à France Culture. Après avoir dirigé le Festival Archipel, à Genève, il fut l’un des commissaires de l’exposition La force de l’art (2006, Grand Palais, Paris).