Yves Berger (YB), prix Femina 1962 pour son premier roman, «Le Sud», présente ses «Réflexions sur la nature et les problèmes du roman». Juger de la nature du roman français à partir des prix littéraires paraît très difficile, les jurys n’étant pas cohérents, et YB préfère se demander ce qu’est la littérature, qu’il voit soumise à l’influence selon lui néfaste de Sartre et Camus, et à l’idée qu’elle doit «servir des valeurs». Or, à son avis, la littérature n’a pas à résoudre des problèmes, moraux ou sociaux: créer personnages, histoires et intrigues, voilà l’affaire. Contre cette tendance utilitaire, le Nouveau Roman est une réaction, qui tente d’échapper à l’emprise de l’humain, mais fait fi du langage comme source d’enchantement. Le travail de l’écrivain, dit YB, n’est pas d’examiner le mystère humain, mais, comme il ne peut accepter la mort, de trouver une illusion personnelle d’éternité, et le lecteur attend du livre qu’il lui offre cette même illusion. S’ensuivent quelques conséquences: on n’écrit que pour soi seul, mais nul écrivain n’est que cela; délivrer un message ou résoudre des problèmes n’est pas une question littéraire; la responsabilité de l’écrivain n’existe pas; le public se trouve par hasard; la seule voie du roman aujourd’hui est de créer un monde illusoire surpassant le réel; l’homme en soi n’est pas intéressant, nous le connaissons trop; le romancier doit en revenir au langage. YB, pour conclure, ne trouve ni négatif ni modeste ce programme pour la littérature: être un art de ne pas mourir. Le point de vue d’YB est intéressant, en ce qu’il rappelle pour le roman des possibilités autres que celles dominant alors. Le fort tirage de son roman pouvait venir à l’appui de ses idées.